Les différences de traitement du post-partum en France et en Allemagne.

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Le thème du corps, qui est au cœur de notre troisième numéro à paraître en septembre, ouvre de nombreuses perspectives féministes. La grossesse et la maternité en font partie. Quels changements engendrent-elles ? Comment la société traite-t-elle les femmes enceintes pendant et après leur grossesse ?

Pour mieux le comprendre, Cécile Calla (autrice et journaliste) et Barbara Peveling (autrice et anthropologue) ont enquêté sur les différences de traitement du post-partum en France et en Allemagne. Elles ont aussi lancé récemment le podcast franco-allemand Méduse parle.


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Un accouchement bouleverse le corps, notre quotidien, interroge notre héritage, notre filiation, et tout ce qui nous ancre dans le monde. Les transformations qu’il génère sur les plans psychique et physique culminent dans ces jours particuliers qui suivent la naissance. La période du post-partum constitue un moment à la fois universel et singulier dans la vie des femmes. Universel, car les processus physiologiques en jeu (les lochies, l’allaitement pour celles qui le choisissent, la fatigue, les contractions post-natales) concernent toutes les femmes. Singulier, car ce vécu dépend du parcours de chacune et reste imprégné par les traditions, mythes et tabous de la culture environnante. Pour filer la célèbre métaphore de Simone de Beauvoir ー « On ne naît pas femme, on le devient » ー, la femme ne devient pas mère seulement après l’accouchement, mais aussi par les représentations de la maternité.


Et ces représentations varient d’une culture à une autre. Si nous regardons de l’autre côté du Rhin, vers nos voisins allemands, nous découvrons une tout autre façon d’aborder le post-partum.
À la différence de la langue française, qui ne connaît que le terme scientifique de « post-partum », la langue allemande lui a consacré un mot, le « Wochenbett », qu’on peut traduire par un alitement de quelques semaines et qui désigne à la fois les semaines qui suivent un accouchement et le service qui accueille les jeunes accouchées à l’hôpital. Il y a un grand respect pour ce moment-là : la société allemande veille au repos et à la santé de la mère et de son enfant grâce à un suivi très régulier dans les semaines qui suivent l’accouchement. Dans cette prise en charge, la sage-femme joue un rôle essentiel. Tour à tour soignante, confidente, passeuse de savoir, cette figure héritée d’une époque où la naissance se déroulait uniquement dans l’intimité des maisons peut rendre visite à la jeune mère jusqu’à 16 fois dans les huit semaines qui suivent l’accouchement. Mais le statut de cette profession a été fragilisé ces dernières années et il devient de plus en plus difficile de trouver une sage-femme.

En France, la période qui suit l’accouchement commence tout juste à recevoir un peu de considération : depuis seulement 2013, les femmes ont le droit à quelques visites à domicile jusqu’au douzième jour après l’arrivée du bébé.


Même si le post-partum allemand est entouré d’une sorte d’aura, il n’en reste pas moins, comme pour les Françaises, un moment très solitaire. La grande fête de la naissance se transforme rapidement en un désert social, les visites des ami·e·s et des proches s’amenuisent, deviennent rares. Les appels, les félicitations et même la joie s'espacent. Ne restent que les groupes de mères avec leurs nourrissons et les sorties au square. De part et d’autre du Rhin et à l’image de ce qui se passe dans de nombreux pays occidentaux, les femmes ont appris à taire cette expérience ou à réserver le récit de ce vécu à la sphère intime. Sans doute parce que c’est un moment de la vie où les besoins du corps sont si présents, voire encombrants.

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Le sujet n’était certes pas totalement absent du débat. Des romans tels qu’Un heureux événement d’Éliette Abécassis paru en 2005 (éd. LGF) ou Le Bébé de Marie Darrieussecq paru en 2002 (éd. P.O.L) ont rencontré un certain succès auprès du public. Mais c’est seulement depuis quelques années que ce vécu féminin se retrouve au cœur des débats féministes. Avec son hashtag #MonPostPartum, la sociologue Illana Weizman et ses amies Ayla Saura, Morgane Koresh et Masha Sacré avaient lancé un pavé dans la mare en février 2020 en appelant les femmes à mettre des mots sur la réalité de cette période. Cet appel a eu un tel succès qu’Illana Weizman a publié en début d’année un livre intitulé Ceci est notre post-partum (éd. Marabout). En Allemagne, des romans qui abordent ouvertement ce sujet tels que Stillleben (« nature morte », non traduit) d’Antonia Baum, paru en 2018, ou Muttergehäuse (« la coquille maternelle », non traduit) de Gertraud Klemm, paru en 2016, ont eux aussi trouvé un public. Mais il n’y a pas eu de débat ou de hashtag comparables à ceux observés en France.

Le vécu des mères françaises et allemandes pendant cette période dépend bien sûr aussi de la présence du père ou du second parent. Le congé second parent français vient d’être allongé depuis le 1er juillet et passe de 11 à 28 jours. Outre-Rhin, les deux parents peuvent bénéficier après la naissance d’un salaire parental qui représente 65 % du salaire net. Cette allocation est versée en règle générale jusqu’à 14 mois et se partage entre les deux membres du couple. Certes, les mères sont celles qui en bénéficient le plus longtemps mais en 2020, les pères représentaient 25 % des allocataires pour une durée moyenne de congé de 3,7 mois.

La France ne se préoccupe guère du vécu des jeunes accouchées. Tout est travail dès le début. La langue française parle de travail quand les femmes ont des contractions alors que la langue allemande parle, elle, de « Kreißsaal », soit littéralement de « salle des cris ». On est d’ailleurs tout de suite remise au travail une fois arrivée à la maison. Il faut recevoir la famille, les ami·e·s, faire une jolie chambre au bébé, le stimuler pour qu’il fasse plus tard de bonnes études, lui faire de bonnes soupes maisons pour que son goût culinaire se développe le plus tôt possible. La mère doit être une abeille ouvrière, ou plutôt une araignée qui ne cesse jamais de tisser la toile familiale. Il n’y a pas de salaire parental comme en Allemagne et après 16 semaines de congé maternité, 10 semaines après la naissance, la mère doit reprendre son travail, qu’elle le veuille ou non.

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« La Française est d’abord femme avant d’être mère ». Cette maxime que la philosophe Élisabeth Badinter se plaît à répéter, les Françaises sont nombreuses à l’avoir intériorisée. Celle qui s’adonne trop longtemps ou trop intensément aux joies de la maternité court le risque d’être moquée. Nous sommes biberonnées à l’idée qu’il faut retrouver au plus vite son apparence initiale, être à nouveau séduisante. L’après doit ressembler à l’avant, être une transition fluide, ne pas créer de ruptures dans le CV. Le ressenti de la mère ou les besoins de l’enfant passent en seconde position. Ce n’est pas un hasard si la France fait de la rééducation du périnée une priorité et finance des séances individuelles quand l’Allemagne ne finance le plus souvent que des séances collectives. Barbara a encore bien en mémoire ces séances de rééducation françaises et se souvient de la pression qui pesait sur ses épaules pour que son vagin retrouve toute sa fermeté.

Donner le sein est une autre source de divergences franco-allemandes. En France, la question de l’allaitement est directement liée à la liberté de choix et à l’indépendance des femmes. « L’allaitement a longtemps été mal vu en France, car il était perçu comme avilissant du point de vue du droit des femmes », avait expliqué la chercheuse en sociologie Maya-Merida Paltineau dans un article du Monde paru en 2015. Outre-Rhin, où la grande majorité des mères allaitent leurs bébés, le lait maternel est instrumentalisé pour propager un idéal de la mère sacrificielle, celle que dépeint Jean-Jacques Rousseau dans Émile ou de l’éducation. Cécile, qui a accouché à Berlin, n’avait pas vraiment la possibilité de dire non à l’allaitement. C’était une question qui ne se posait pas. Ce phénomène est assez récent : dans les années 70-80 les Allemandes de l’ouest allaitaient beaucoup moins leurs bébés (44 % dans les années 1970), tout comme les Françaises d’ailleurs (le taux était à 36,6 % en 1970). Des campagnes massives de publicité orchestrées par l’industrie du lait en poudre avaient incité les femmes à ne plus donner le sein. Ce choix du biberon était une façon d’accompagner le miracle économique allemand d’après-guerre. La crise écologique doublée d’une critique du système capitaliste a peu à peu inversé la tendance. Mais un savoir transmis autrefois de génération en génération s’est perdu. Les mères d’aujourd’hui ne peuvent pas demander de l’aide à leurs mères ou grand-mères, mais doivent s’adresser à des sages-femmes ou à des médecins. D’une certaine façon, les mères allemandes qui allaitent aujourd’hui le font aussi contre leur propre génération maternelle.

L’allaitement était, dans les deux sociétés, lié aux nombreux tabous qui entourent la sexualité pendant le post-partum. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les nouveaux-nés étaient souvent confiés dès la naissance aux nourrices, en partie pour que les femmes soient à nouveau sexuellement disponibles pour leurs époux.

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Aujourd’hui, les femmes allemandes et françaises sont en théorie libres de choisir l’allaitement ou le biberon et de faire ce qu’elles veulent avec leur corps, mais ce tabou continue de les habiter. « Ce problème d’un sein simultanément sexuel et maternel est en quelque sorte originel, puisque les seins sont bel et bien le lieu d’une double fonction pouvant être considérée ou éprouvée comme antinomique », souligne Camille Froidevaux-Metterie dans son essai Seins. En quête d’une libération (paru en 2020 aux éditions Anamosa).


De part et d’autre du Rhin, les jeunes mères sont soumises à des injonctions qui restreignent leur liberté de choix. Il est tout aussi difficile de résister à l'image de la femme française parfaite qui gère une flopée d’enfants, fait une belle carrière et reste mince et souriante que de ne pas se conformer à l'idéal allemand de la mère sacrificielle, toujours aimante et faisant preuve d’une patience sans limites. La peur d’être une mauvaise mère continue de hanter les mères allemandes comme une épée de Damoclès. Nos voisin·e·s allemand·e·s ont d’ailleurs forgé un mot qui n’existe pas en France : « Rabenmutter », soit la mère corbeau, désigne celles qui retournent rapidement travailler après un accouchement ou privilégient leur carrière par rapport à leur famille.


Qu'elles soient allemandes ou françaises, les femmes ne veulent pas être seulement des mères. Elles ne veulent pas non plus dissoudre leurs besoins corporels et psychiques dans la maternité. Des deux côtés de la frontière, les mères ont besoin de nouveaux récits qui ne les présentent plus comme des objets, mais comme des actrices de leur vie.

MathildeCommentaire