À la rencontre de Catherine Ocelot

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Pour sa première bande dessinée sortie en France La vie d'artiste (éditions La Ville Brûle), l’autrice Catherine Ocelot a mené des entretiens avec des auteurs·trices, des artistes, des ami·e·s, pour essayer de comprendre ce qui les anime. En résulte un ouvrage magnifique et plein d’humour sur la légitimité, les doutes, la créativité, l’autofiction, la beauté du quotidien où Ocelot s’imagine en femme-oiseau en pleine crise existentielle.

Un entretien signé Pauline Le Gall.

Il s’agit de ta première publication en France. Comment as-tu commencé à écrire de la bande dessinée ?

A la base, j’ai une formation en art visuel, en enseignement des arts et une maîtrise en art thérapie. J’ai commencé la bande dessinée un peu par hasard. Je travaillais à Radio Canada et j’y ai rencontré Jimmy Beaulieu, qui avait une chronique sur la BD. À l’époque, j’avais découvert l’œuvre d’Edward Gorey qui m’inspirait beaucoup et j’avais un projet de livre illustré. J’en ai parlé à Jimmy, qui m’a dit qu’il voulait bien la publier. De fil en aiguille, je l’ai fait ! 

Ma deuxième bande dessinée, Talk Show, a été publiée en 2005. Elle parle d’un ours polaire qui anime un talk show. Il y a beaucoup de thématiques qui sont reprises dans La vie d’artiste comme la difficulté de communiquer.

Comment as-tu commencé à travailler sur La vie d’artiste ?

J’avais trois projets parallèles : un livre d’entrevues, une autofiction qui jouerait sur l’humour et la tristesse comme Un château en Italie de Valeria Bruni-Tedeschi et un faux film documentaire sur la vie d’artiste. J’avais hâte de faire les trois sans me lancer dans aucun. D’un coup j’ai eu l’idée de les réunir et ça a donné cette BD.

Essayer d’incarner sa voix, de trouver sa légitimité... C’est l’histoire de beaucoup de femmes aujourd’hui !
— Catherine Ocelot

Tu as mené des entretiens pour ce livre…

Oui j’ai enregistré des interviews de deux à trois heures. Ensuite j’ai fait un verbatim et j’ai essayé de voir ce que je gardais, comment ça s’imbriquait au récit. Je n’ai pas scénarisé ma BD. J’ai pris ce que les gens me disaient et j’ai ajouté ma voix. 

Pourquoi avoir fait le choix de t’imaginer en femme-oiseau ?

J’ai commencé à dessiner les gens comme ça il y a très longtemps. Je partageais un atelier avec d’autres artistes et je faisais leurs portraits sous cette forme. J’aimais bien ce résultat surréaliste. Pour le livre, je l’ai fait naturellement. Je pense que c’est en partie par pudeur, pour nous protéger moi et ma fille. Je me pose sans cesse la question de ce que je donne à voir, ce que je laisse filtrer. Ce thème est important dans la trame narrative. Il y a aussi une dimension symbolique, puisque dans le livre j’ai sans cesse peur de tomber. Ce choix inconscient a beaucoup de sens !

Le livre s’appelle La vie d’artiste mais le titre paraît un peu ironique tant ton personnage a du mal à se considérer comme une artiste…

Je ne me prends pas au sérieux mais je fais mon travail avec beaucoup de sérieux. C’est compliqué de se considérer comme une artiste. En France, d’ailleurs, il y a une couche supplémentaire de complexité, ça paraît vraiment prétentieux de se définir ainsi. Et quand tu es une femme, alors là ça devient encore plus difficile ! Ça s’appelle « la vie d’artiste » et pourtant j’ai du mal à me considérer comme ça.

Tout au long de la BD tu te questionnes aussi sur la manière de faire transparaitre ton engagement féministe dans ton œuvre. C’est quelque chose qui te préoccupe ?

Le féminisme n’est pas mon sujet, mais je suis très féministe. J’ai souvent l’impression que je devrais être plus militante, plus engagée, en faire plus… Quelque part, le sujet même du livre est lié au féminisme puisque le personnage principal essaie d’incarner sa voix, de trouver sa légitimité… C’est l’histoire de beaucoup de femmes aujourd’hui !

Les autofictions écrites par des femmes sont souvent prises à la légère. Est-ce que le privé est politique pour toi ?

Je ne sais pas si ma BD est un acte militant, mais j’ai besoin de permissions. À un moment, je montre une scène avec un amant. Je l’ai mise là parce que je n’avais jamais vu dans un livre une femme qui est avec son amant et qui a envie de retourner travailler. Il est gentil pourtant, ce n’est pas un gros con, elle trouve ça super d’être avec lui. Mais voilà, à ce moment-là son travail est plus important alors elle lui dit de partir. Ce n’est pas forcément malsain que le travail artistique prenne de la place dans la vie d’une femme. 

Je n’ai jamais vu non plus de femmes artistes avec des enfants. J’ai vu des tas de documentaires sur des réalisateurs bourrus qui vivaient dans une cabane isolée, au cœur du tourment de la création… Moi je me demandais vraiment si on pouvait être artiste avec un enfant. Est-ce qu’on peut être célibataire, et que ce soit sain ? Je ne sais pas si la démarche est militante mais je voulais que la BD reflète ces questions que je me pose.

Quel rôle ta fille joue-t-elle dans la BD ?

On a l’impression qu’il faut choisir entre les enfants et la vie d’artiste et peut-être qu’il faut. Je ne voulais pas faire un portrait qui dit que tout est possible, que tout est facile parce que ce n’est pas le cas. Il y a tellement de pièges. On nous a dit qu’on pouvait avoir des enfants, faire du sport, avoir une famille, avoir une maison, faire des cupcakes… Pour moi ce n’est pas possible de faire tout ça ! Souvent, on a l’impression que pour être une femme artiste, il faut tout sacrifier. Dans mon cas, la garde partagée a un peu modelé ma vie d’artiste. Ça m’a permis d’avoir des moments seule et aussi d’être vraiment présente avec ma fille le reste du temps. Je pense qu’on a besoin de plusieurs modèles !

Une fois la BD terminée, qu’est-ce que tu as retiré de toutes ces discussions ?

La BD a fait beaucoup de choses pour moi et toutes les discussions m’ont beaucoup enrichie. Je suis allée chercher tellement de permissions et d’inspirations dans ce travail. Par exemple, Julie et Daphné m’ont appris que j’avais le droit d’exister. Marcel, qui est directeur de la Cinémathèque, m’a enseigné qu’une vie d’artiste était une vie de refus, de renoncement, ça m’a apaisée. À partir du moment où tu sais que tu vas avoir des refus toute ta vie, tu y vas. Ça m’a permis de mettre des mots sur plein d’idées et de concepts.

Mathilde