Mangeuse d'herbe - Charlotte Polifonte

Sur son compte Instagram Mangeuse d'herbe, qui compte plus de 28 000 abonné·es, Charlotte Polifonte poste des photos de recettes toutes plus alléchantes les unes que les autres, et des reels dans lesquels elle manie les ingrédients avec une bonne humeur communicative et apprend à sa communauté à cuisiner des plats des Antilles à la sauce vegan. Nous avons demandé à Charlotte de nous parler d'afro-véganisme, de traditions culinaires et de la manière dont ses différentes convictions politiques se rejoignent.


Tu te décris comme une activiste afro-vegan. Comment résumerais-tu la philosophie de ce mouvement ?


L'afro-véganisme est un outil de résistance qui questionne la consommation et la morale. En refusant de participer à une économie qui broie des millions de vies animales par jour et en s'alimentant grâce au végétal, il permet de mettre plus de conscience dans nos vies et de sauvegarder nos corps si souvent mis en danger par le système (chlordécone, pauvreté, slave food...). L’afro-véganisme permet aux minorités de se reconnaître dans un mouvement écologique radical qui invisibilise les personnes qui sont les plus touchées, et les plus aptes à embrasser ce mode de vie.

Quels liens fais-tu entre afroféminisme et antispécisme/véganisme ? Ces deux combats sont-il liés pour toi ?


Les sociétés sont un prisme qui requiert une analyse des actions multidimensionnelle. L'intersectionnalité de la lutte afroféministe m'a permis de penser ce monde comme un système où les outils d'asservissement et de contrôle s'entrecroisent et se ressemblent, parfois avec une similarité qui fait froid dans le dos. L'antispécisme, quant à lui, me semble caduque, enfermé dans une pensée eurocentrée. Néanmoins, il devient un outil de libération mentale très puissant quand on l'associe à l'expérience qui explore la violence du système jusque dans nos chairs.  L'afro-véganisme permet de combiner plusieurs réalités, et de reconnaître les animaux comme des êtres  faisant partie de ce spectre racial, social, genré...  Remettre en cause les constructions sociales, cela passe également par l'assiette, et par la considération de celleux qui occupent cette planète comme nous. Le mouvement afro-vegan est riche de ressources historiques culinaires et de précédents animalistes par lesquels les minorités raciales résistantes ont démontré leur changement de paradigme avec au centre la compassion et le respect du vivant. Tout est lié, comprendre comment la toile est tissée nous permet, selon moi, de nous libérer de ces comportements d'oppresseurs (spéciste, raciste, validiste...) que nous portons tous en nous inconsciemment, et donc d'être plus efficaces pour attaquer le système à la racine.

Tu as à cœur de faire découvrir la cuisine des Antilles. Comment faire pour que les traditions culinaires et le véganisme puissent coexister ?

J'aime toujours rappeler à quel point cette culture est ambivalente. Née dans un climat de terreur, on y retrouve la résilience et le courage de nos ancêtres déportés qui ont su sublimer une nourriture de survie extrêmement pauvre en nutriments. Cet héritage, bien qu'un précieux legs, porte toujours la marque au fer rouge de la violence coloniale qui survit à travers l'alimentation carnée (boudin, saindoux, jambon de Noël...). Il me semble qu'il n'y pas de plus grand honneur que de continuer à faire vivre nos traditions culinaires, en les revisitant, en les adaptant à notre monde, qui a tant besoin de compassion et de conscience. Dans une époque où la santé physique aux Antilles est plus que menacée, que la question de l'autonomie s'affirme (gestion de la crise sanitaire) et que la pollution des mers comme des terres semble être inévitable, ne serait-il pas temps de changer de paradigme, d'élever nos esprits vers des jours plus sereins pour tous.tes ?

 

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